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Le nouveau mot
Radio Nova
Chaque semaine, Nova fait le tri pour vous dans les sorties en salles. S’il n’y a qu’un seul film à voir, c’est celui-là.
Location:
France
Genres:
Arts & Culture Podcasts
Networks:
Radio Nova
Description:
Chaque semaine, Nova fait le tri pour vous dans les sorties en salles. S’il n’y a qu’un seul film à voir, c’est celui-là.
Language:
French
Episodes
"When the Light Breaks" : la douce lumière du cinéma Islandais
2/19/2025
Nova part à la rencontre de Rúnar Rúnarsson, l'une des voix les plus intéressantes du cinéma islandais sur ces dernières années. L'originaire de Reykjavik signe le génial When the Light Breaks en salle à partir d'aujourd'hui, expression de l'essence d'une communauté et la solitude des individus.
Duration:00:10:56
MERCATO X BRIAN JONES ET LES ROLLINGS STONES
2/19/2025
À y regarder d'un peu plus près, la filmographie de Jamel Debbouze est un parcours cabossé. Voire un malentendu depuis le début. Portée globalement par un caractère de zébulon comique pour ses succès, elle a régulièrement été traversée d'écarts plus portés vers le drame que soient par des incursions chez les Jaoui-Bacri, voire, plus étonnamment, chez Luc Besson. Mercato confirme plus pleinement cette envie non seulement en revendiquant d'être un film "sérieux" mais surtout en laissant transparaitre en filigrane un probable inattendu autoportrait. Allez savoir, c'est peut-être la crise de la cinquantaine approchant, Debbouze devenant quinquagénaire cette année, qui a poussé ce polar dans le monde du football en bilan existentiel introspectif. Son personnage s'appelle Driss, mais c'est Jamel que l'on croit percevoir sous les traits d'un type qui vit de son art de la tchatche. Après tout, ce rôle d'agent de joueurs est sans doute assez proche de celui qu'il tient auprès de certaines recrues du Jamel Comedy Club. Idem pour l'univers des coulisses du sport, entre coups de canif ou d'esbroufe probablement peu éloigné de celles du vedettariat. Plus qu'un scénario ou une mise en scène sous influence du Meurtre d'un bookmaker chinois de Cassavetes ou plus récemment du Uncut Gems des frères Safdie, c'est cet axe d'un miroir non déformant, et l'implication évidente d'un Debbouze à l’origine même du projet qui rend Mercato intrigant.
Brian Jones et les Rolling Stones propose lui aussi d'aller voir derrière les apparences. Le documentaire de Nick Broomfield rappelle que Jones fut le fondateur du groupe. La façade d'un musicien extravagant qui aura péri de ses excès s'estompe pour faire place au portrait d'un jeune homme brillant, mais tourmenté, marginalisé à la fois par Mick Jagger et Keith Richards, plus enclins à un tempérament de rock stars, et par des parents effarés que leur fils mène une vie de saltimbanque. Brian Jones et les Rolling Stones s'essaie à faire office de réparation, en rappelant qu'il a tenu la même place qu'un George Harrison chez les Beatles, souvent en retrait derrière le binôme McCartney-Lennon. Jagger et Richards sont les grands absents des interviews de ce documentaire. Que cela soit volontaire de la part de Broomfield ou parce qu'ils n'ont pas voulu y participer, cette évocation, qui n'occulte pas les démons de Jones, y gagne en volonté de faire amende honorable, et décrasse l'histoire officielle de la pop culture de sa sainte trinité sexe, drogues et rock'n'roll, pour creuser plus profond, et avec une certaine mélancolie, sur l'origine de ses âmes brulées.
Mercato, Brian Jones et les Rolling Stones. En salles le 19 février.
Duration:00:02:37
THE BRUTALIST X STRIP-TEASE INTEGRAL
2/12/2025
Le cinéma, c'est toujours une question de point de vue. Pour The Brutalist, Brady Corbet annonce d'emblée qu'il voit grand. La toute première image de son film est un logo oublié. Celui de la VistaVision, un format de prises de vues plus grand que le Cinémascope, élargissant l'image en faisant circuler la pellicule horizontalement. Il est né au milieu des années 50. Pas très loin de la période d'un récit suivant la reconstruction mentale d'un architecte hongrois ayant fui l’Europe nazie pour s'essayer au rêve américain. Le rêve de Corbet, acteur croisé chez Haneke, Lars Von Trier ou Bertrand Bonello, est de renouer avec le cinéma hollywoodien pour raconter, plus qu'un nouveau départ, la seconde naissance de l'Amérique, celle du capitalisme dévorant. Ce sera au travers du chantier colossal d'une mini-cité commandée à l'émigré par un richissime industriel. Plus les murs s'érigent, plus la relation entre les deux hommes se fissure, le mécène se dévoilant à la tête d'un clan familial de prédateurs. Corbet construit autour d'eux une œuvre somme, sorte de roman national américain comme il n'y en avait pas eu depuis There Will Be Blood ou le Coppola du Parrain 2. D'autant plus impressionnant que réalisé avec un budget minime, The Brutalist renoue avec le souffle épique de ces grandes fresques opératiques comme leur capacité à scruter la face sombre de la civilisation moderne.
À leur manière, les belges de Strip-tease intégral font eux aussi dans la dissection de la société. Au cœur des années 80, cette émission avait transformé les codes du documentaire télé, par de saisissants portraits de spécimens humains. Pour fêter ses quarante ans, la revoilà au cinéma avec un film compilation de cinq reportages, passant les mœurs des années 2000 à la loupe. Immersion chez des influenceuses à Dubaï, une singulière famille d'écolos, un hypo-hypercondriaque ou une stand-uppeuse amatrice, Strip-tease intégral joue plus que jamais d'un effet miroir quand le point commun à ses segments est la résurgence de l'apparence et du narcissisme. Toujours sur le même modèle d'un filmage sans commentaire, cette collection d'ego-trips s'en permet pourtant un via un fil rouge menant à une estomaquante dernière partie, affirmant que l'exhibitionnisme somatique généralisé touche désormais littéralement jusque dans nos chairs. À la télé, Strip-tease intégral avait pour slogan, "l'émission qui vous déshabille". Au cinéma, elle vient de rhabiller le regard documentaire par un mélange de sidération et de compassion, sur l'ordinaire de l'époque, entre vanités et quête de reconnaissance.
The Brutalist, Strip-tease intégral. En salles le 12 février.
Duration:00:02:51
GOD SAVE THE TUCHE X PRESENCE
2/3/2025
Et si ce qui rendait populaire une comédie tenait de ses anomalies ? Sur le papier Les Tuche ne rentre dans aucune case, et pourtant depuis 2011 et aujourd'hui cinq films, la famille la plus décalée du cinéma français est désormais devenue une sorte de doudou du public. Peut-être parce qu'elle a un effet rassurant sur une société de plus en plus clivée. Les Tuche, eux, font toujours bloc, gardent un regard très ouvert sur l'extérieur. Ils pourraient bien même être devenus une famille modèle d'intégration, quand on y trouve un couple qui reste soudé, une grand-mère qu'on ne met pas à l'Ehpad, un fils homosexuel ou une fille mère célibataire d'un enfant métis, sans que cela ne pose aucun problème. Les Tuche c'est à la fois l'esprit Bidochon et le bon sens progressiste dans un contexte fantasque. Cette fois-ci, les voici partis à la rencontre de la famille royale anglaise dans un cinquième opus qui, mine de rien, bouscule certaines règles. God Save The Tuche, pousse en effet le curseur un peu plus loin, la chronique bienveillante de la France profonde s'ouvrant plus pleinement à des gags exogènes donnant visa aux univers des Monty Python, Nuls ou Robins des Bois (l'implication plus conséquente d'un Jean-Paul Rouve, ici devant et derrière la caméra ainsi qu'à l'écriture, expliquant peut-être cela). De quoi propulser God Save The Tuche vers un ton encore plus particulier où le fil rouge d'une intrigue n'a plus aucune importance, le récit se faisant roue libre, ravi de faire des sorties de route, d'expérimenter parfois jusqu'à l'épuisement, des vannes et situations toujours plus absurdes ou enfantines. Là où le volet précédent se perdait à essayer avec trop sérieux de raconter quelque chose autour de l'esprit de Noël, celui-ci s'assume comme pur exercice pataphysique au service d'une poésie du loufoque aussi hilarante que ronge-cerveau. À ce niveau de singularité, on peut même commencer à parler de French Tuche.
La touche Steven Soderbergh tient, elle aussi, à l'envie de sortir des clous. Depuis Sexe Mensonges et Vidéo, le réalisateur américain n'a jamais cessé de contourner, désosser les codes narratifs ou de production pour des films aux airs de prototype. Avec Présence, il s'attaque au film de fantômes pour en renverser les proportions : le point de vue unique sera celui d'un spectre qui observe l'installation d'une famille dans une maison. Sans révolutionner le principe de la caméra subjective, cette idée de mise en scène immersive est brillamment orchestrée au point d'embobiner le spectateur qui ne se rend pas compte du leurre : Présence exprime avant tout une famille disloquée, aux membres de plus en plus éloignés les uns des autres, rassemblés uniquement par une maison aux fondations plus solides que les leurs. Décevant pour ceux qui s'attendraient donc à un pur film d'épouvante, Présence sait cependant faire parcourir un véritable frisson : celui d'une inattendue mélancolie en assurant que les vertus rassurantes du Home Sweet Home cher aux américains sont devenues fantomatiques, ne peuvent plus protéger les cellules familiales des barreaux d'une crise de civilisation.
God Save The Tuche, Présence. En salles le 5 février.
Duration:00:03:11
Rencontre avec Henzo Lefevre, directeur du festival international du film politique de Carcassonne
1/28/2025
La semaine dernière se tenait à Carcassonne la 7ᵉ édition du festival international du film politique. Les salles furent pleines, les débats nourris. Soit un franc succès, comme en atteste ses plus de 20 000 spectateurs sur une semaine de projections, mais aussi de vraies questions quand cette édition s'est tenue dans un contexte où les diverses instances sont en train de sabrer les subventions à la culture. Henzo Lefevre, le directeur de ce festival, revient sur ces points dans une interview forcément... politique.
Duration:00:10:28
UN PARFAIT INCONNU X COMPANION
1/28/2025
Quand y'en a plus, y'en a encore. À peine une semaine après la sortie de Better Man, le biopic musical remet une pièce dans le jukebox avec Un parfait inconnu, consacré cette fois-ci à Bob Dylan. Il faut dire que celui qu'on a surnommé le Rimbaud du rock est une belle matière à histoire, entre son importance dans la musique américaine, sa part de caméléon, passé des guitares acoustiques du folk à celles électriques du rock ou une mythologie que cet électron particulièrement libre s'est lui-même crée. Elle avait déjà donné lieu à une première évocation avec I'm Not There, fascinant film aux airs de portrait chinois que lui avait consacré Todd Haynes. Un parfait inconnu est bien plus rectiligne, voire trop. Ça a l'avantage d'éviter les habituelles lourdeurs psychologiques qui tambourinent et bourrinent les biopics. Mais aussi l'inconvénient d’intéresser essentiellement un public qui connaîtrait déjà le barde folk. Un parfait inconnu se limite donc souvent à une parfaite reconstitution du New York des années 60 ou a un déroulé des amours tumultueuses, virant à un ennui poli. Il est heureusement évacué lors de séquences musicales, saisissantes quand Timothée Chalamet interprète en son-direct des chansons, dont la magnificence s'impose. Le fan-club de l'acteur devra pourtant s'incliner devant une autre prestation, celle d'Edward Norton, encore plus impeccable en Pete Seeger, mentor de Dylan et autre figure phare de la folk américaine, sombrée elle dans l'oubli, au point d'en avoir fait le malheureux inconnu de cette histoire.
Si Un parfait inconnu laissera ses spectateurs sans secrets sur les jeunes années de Dylan, Companion doit lui garder les siens pour pouvoir être pleinement apprécié. Difficile donc de révéler les multiples retournements d'un étonnant film, déguisant le temps d'un week-end à la campagne l'ère #MeToo et ses dénonciations du patriarcat sous les traits d'une rom-com acidulée. Tout juste peut-on révéler qu'il tient à la fois d'un héritage de certains romans d'anticipation satirique des années 70 tout en confirmant la passionnante gamme de films féministes n'ayant pas peur de pousser une gueulante, apparue ces dernières années. Jusque-là, de Don't Worry Baby à Blink Twice, bides immérités, elle était passée trop inaperçue en dépit de réelles qualités d'écriture et d'ambitions de mise en scène. En poussant le bouchon un peu plus loin comme en s'annonçant littéralement comme un nécessaire reboot social du cinéma hollywoodien grand public, Companion, film aussi malin que ludique, pourrait bien lui offrir enfin une visibilité essentielle.
Un parfait inconnu / Companion. En salles le 29 janvier.
Duration:00:02:45
BETTER MAN X VOL À HAUT RISQUE
1/22/2025
Est-ce qu'on en finira un jour avec les biopics de chanteurs ? Visiblement non. Pour preuve, l'arrivée cette semaine sur les écrans de Better Man consacré à Robbie Williams. Pour tout dire, on en bâillait d'avance, peu convaincu par l'idée de revenir sur le parcours de l'ex-membre de Take That, de son enfance à sa starisation ou ses heures de bad boy faisant la une des tabloïds. Pour autant, un détail rendait ce cas singulier : Williams y est portraitisé sous les traits d'un singe en image de synthèse. Pourquoi cette idée farfelue ? Même si Better Man est narré par Williams lui-même, la chose ne sera jamais explicitée, si ce n'est au titre d'une exubérance de plus. Si elle est minimisée par un scénario suivant à la lettre les règles de son registre (en gros un traumatisme global lié au manque de considération de Williams par son père ou le passage obligé d'un gros chagrin quand sa mamie adorée meurt), Better Man n'en reste pas moins à part dans l'univers des biopics musicaux, en n'ayant pas peur - à l'inverse des ultra-platounets Bohemian Rhapsody (Freddie Mercury) ou One Love (Bob Marley), pour ne citer qu'eux - d'une franche créativité lors de numéros musicaux dantesques. Les tubes de Williams, comme "Rock DJ" ou "She's the One" donnent lieu à des scènes délirantes, préférant les sommets graphiques des plus spectaculaires comédies musicales au déroulé usuel d'un récit connu d'avance. À l'image d'une phénoménale séquence de concert se transformant en bataille médiévale façon Seigneur des Anneaux autour de "Let Me Entertain You", Better Man, film étrange, a le mérite d'être souvent un show des plus divertissant.
S'il y a une personnalité qui aurait bien de quoi nourrir un bon biopic, c'est bien Mel Gibson, star ultra-populaire dans les années 80 et 90, devenu paria suite à des déclarations très problématiques. Elles avaient fait oublier que Gibson est aussi un réalisateur particulier, alignant Braveheart, modèle de film historique épique, La Passion du Christ, biopic gore en araméen de Jésus ou Apocalypto, extraordinaire survival chez les mayas. Il n'est pas improbable qu'une mauvaise réputation acquise ait empêché Gibson de se lancer désormais dans des projets de la même ampleur. Il réapparait aux commandes de Vol à haut risque, thriller en huis clos ressuscitant, jusque dans son titre, le cinéma d'action américain des années 90. Soit le décor quasi unique d'un avion de tourisme embarquant une agent du FBI, un témoin à protéger et un tueur à gages chargé de les éliminer. Un exercice de style inattendu pour un réalisateur qui privilégiait jusque-là les grands espaces et l'emphase pour s'enfermer dans la carlingue étroite d'un coucou. De quoi privilégier un trio d'acteurs – surtout Mark Wahlberg, inattendu en tueur aussi dégénéré que survolté, s'en donnant à cœur joie. Vol à haut risque tenant de la voltige économique en étant totalement déconnecté du marché actuel, plus proche de l'altitude du haut du panier des séries B qui sortent directement en vidéo ou sur les plateformes de VOD que de celles des blockbusters en pilote automatique. Ce qui en fait pour autant une curiosité marrante, agréable trou d'air dans la routine des sorties, façon plaisir régressif devant une séance de cinoche à l'ancienne, nerveux et efficace. Et dans des fauteuils plus confortables que celle des soirées vidéo-club d'antan d'où ce sympathique thriller semble exhumé
Better Man / Vol à haut risque. En salles le 22 janvier.
Duration:00:03:20
MALDOROR X BABYGIRL
1/16/2025
Demandez à n'importe quel Belge quel reste l'évènement récent qui a le plus marqué le pays, il y aura de fortes chances pour qu'il réponde l'affaire Dutroux. Du nom de celui qui enleva et séquestra une dizaine d'enfants dans les années 90, en assassinant certains. Un cas resté un traumatisme national, notamment dans les errements de son enquête, ayant révélé un système policier et judiciaire défaillant, puis mené à sa profonde réforme. Quasiment trente ans plus tard, Fabrice Du Welz rouvre cette plaie, autour de l'enquête d'un jeune gendarme sur la disparition de deux gamines, qui va virer à l'obsession. Au-delà de cette traque, Le Dossier Maldoror est un récit étonnamment intime de la dévoration d'un idéaliste, à l'âme rongée par sa quête. De Calvaire à Inexorable, Du Welz a souvent filmé des personnages borderlines, mais prend ici de l'ampleur pour ausculter ce qui est devenue une névrose collective. Le Dossier Maldoror sera donc une saga qui se déploie autour d'une société, racontant, bien plus que l'affaire Dutroux, une identité belge, de la solidarité de plusieurs générations d'immigrés à la honte de n'avoir pas pu voir ce qui se tramait dans les maisons d'à côté, ou aux vestiges d'une ville comme Charleroi, un temps parmi les plus riches du pays, désormais dévastée par la précarité. Le Dossier Maldoror déborde alors brillamment du cadre prévu, quittant les rives des grands films somatiques d'enquête (comme Zodiac, repère ici clairement assumé), pour aller ailleurs. Par exemple le temps d'une extraordinaire scène de mariage, ou d'autres scènes immersives qui se rapprochent du travail de sédimentation d'un Michael Cimino, en prenant le temps de raconter comment un tel fait divers contamine une population entière. Voire, par la galerie de protagonistes directement liés à Dutroux, devenir une perturbante étude du Mal ordinaire et de sa complexité. Elle est confirmée par le titre du film - dans la réalité, l'opération policière avait pour nom Othello - citation des Chants de Maldoror, texte du poète surréaliste Lautréamont où l'on pouvait lire le résumé le plus évident du fond de ce film cherchant ce qu'il peut rester de lumière dans la plus grande des noirceurs : "il est beau de contempler les ruines des cités ; mais, il est plus beau de contempler les ruines des humains !"
Dans Babygirl, c'est Nicole Kidman qui se retrouve en ruines. Ou du moins son personnage de PDGère d'une boite de new tech de plus en plus troublée par un stagiaire qui l'initie à des jeux sexuels autour de rapports de domination. Annoncé comme une intrigante version cérébrale de thriller érotique, Babygirl est plus émoustillant dans ce qu'il cache derrière sa culotte : une vision au scalpel d'un monde contemporain où le capitalisme et ses enjeux de pouvoir seraient devenus une forme de frigidité ayant pris le dessus sur les corps. Cette veine politique palpite malheureusement moins qu'une intrigue planplan de trahison conjugale, quand ce n'est pas le frein à main qui est mis sur tout ce qui touche aux pulsions SM pour s'aseptiser autour d'un propos basique sur les valeurs du consentement. Plus intéressante, la performance de Kidman, en patronne et épouse découvrant que se laisser submerger par ses désirs est plus épanouissant que d'être en permanence dans le contrôle. Une piste intrigante qui s'évanouit toutefois quand Babygirl tend toujours plus vers un remake inversé (cette fois-ci c'est l'épouse qui s'aventure dans la transgression), y compris donc dans le casting de Kidman, d'Eyes Wide Shut, pour arriver à la même conclusion ultra-conservatrice d'un retour au foyer et d'une mise sous le tapis de tout ce qui pourrait déranger la norme conjugale.
Le Dossier Maldoror / Babygirl. En salles le 15 janvier
Duration:00:03:42
Avec “Personne n'y comprend rien”, Yannick Kergoat veut nous faire tout comprendre
1/8/2025
Ce 6 janvier s'est ouvert un procès aussi important que peu ordinaire. Il porte sur le possible financement de la campagne de Nicolas Sarkozy pour l'élection présidentielle de 2017, par Muammar Khadafi. Pendant plusieurs années, Médiapart a enquêté sur ce qui serait un des plus grands scandales d'état. Après plus d'une centaine d'articles, ainsi qu'une bande dessinée, un film, Personne n'y comprend rien, remet en mémoire la chronolgie des évènements. Il est signé Yannick Kergoat, précédemment réalisateur des Nouveaux Chiens de garde, documentaire sur les rapports entre médias et pouvoir ou de La (Très) Grande Évasion sur un autre cas vertigineux, celui de l'évasion fiscale. Personne n'y comprend rien joint ces deux axes en étant autant le récit d'une affaire parmi les plus folles que de la manière dont aujourd'hui, le journalisme s'en empare.
Personne n'y comprend rien. En salles le 8 janvier.
Duration:00:32:10
BLOCKBUSTERS INDIENS X LA CHAMBRE D'À CÔTÉ
1/6/2025
C'est officiel, le cinéma en salles en France se porte bien. Le bilan annuel du CNC en atteste avec l'annonce de 181,3 millions d'entrées pour l'année 2024. Soit une reprise post-Covid dépassant toutes les espérances. Avec en bonus une pleine forme pour le cinéma français dont la part de marché surpasserait celle de l'américain. Tout juste si on ne s'autosacre pas champion du monde, en étant l'un des pays à la production locale la plus performante. A priori, les choses devraient même se renforcer au vu d'un agenda de sorties 2025 chargés en succès potentiels. La double hégémonie des films français et américains pourrait toutefois connaître des secousses. Depuis quelques années, le cinéma populaire indien tente une percée sur notre marché, avec un succès grandissant, au point que cette semaine, pas moins de sept films débarquent sur les écrans. Mélo ou film d'action, Polar ou comédie romantique, c'est autant une vitrine spectaculaire qu'une opération blitzkrieg, d'autant plus forte qu'elle a lieu à un moment où le cinéma indien est lui-même en train de bouger, d'un savoir-faire technique de très haut niveau à une part organique délaissée par les blockbusters US de plus en plus désincarnés, les films issus de Kollywood (la région de Madras) et Tollywood (celle d'Hyderabad) ont pris la main. Certains réalisateurs, comme Nikil Nagesh Bhat dont le Kill sorti ici l'été dernier, bottait sérieusement le cul à tous les John Wick ou S.S Rajamouli, tout auréolé du triomphe mondial de R.R.R jusqu'à avoir toqué à la porte des Oscars en 2023, sont déjà perçus comme l'égal d'un Spielberg ou d'un James Cameron. De Vanangaan à Game changer, il n'est pas dit que l'imposante salve de cette semaine inclue un tel phénomène, mais elle reste signe d'un mouvement qu'on ne peut plus négliger, ouvrant une aussi prometteuse que nouvelle Malle des indes.
Mouvement aussi du côté de Pedro Almodóvar qui franchit l'Atlantique pour aller tourner son premier film en langue anglaise. La chose le titillait depuis que Femmes au bord de la crise de nerfs l'avait fait remarquer aux USA. Celles de La Chambre d'à côté sont en crise de conscience, lorsque la meilleure amie d'une romancière réapparait dans sa vie pour lui demander de l'assister dans son suicide programmé. Peut-être est-ce que parce que l'euthanasie est légalisée depuis 2021 en Espagne que le réalisateur est parti ailleurs pour aborder le sujet. Mais aussi en faire un film étonnamment paisible, sans doute trop, laissant les clés à un fantastique duo d'actrices, Julianne Moore et Tilda Swinton. En matière d'écriture ou de mise en scène, La Chambre d'à côté est en conduite automatique, noyé dans une déco glamour ou rien ne dépasse, obstacle à toute l'émotion nécessaire. Lit mortuaire trop bordé, sans un pli sur ses draps, cette chambre est un élégant salon d'esthète, qui confond toiles de maitres et copies, certes bien exécutées des tourments bergmaniens ou des teintes mélo d'un Douglas Sirk, mais qui manque terriblement d'âme pour raconter comment les proches des défunts continuent à respirer une fois leur dernier souffle rendu. Au point que l'on ait envie d'aller sur la pointe des pieds refermer la porte sur cette rutilante, mais impersonnelle parenthèse américaine.
Nessipaya, Rekachitaram,Vanangaan, Daaku Maharaaj, Identity, Vidda Muyarchi, Game changer / La chambre d'à côté. En salles le 8 janvier.
Duration:00:03:06
AU CŒUR DES VOLCANS X NOSFERATU
12/20/2024
L'idée d'un volcan est celle qui peut s'associer le plus au cinéma de Werner Herzog. Depuis le début des années 70, ce cinéaste allemand n'a cessé de signer des films en ébullition, que ce soit dans leurs sujets ou leur conception, transformant leurs tournages en épopées épiques ou conflictuelles, pour un résultat tumultueux, à la fois lyriques et intérieurs, démesurés et philosophiques. Soit un cinéma aux allures de lave en fusion, incandescent, dangereux et inarrêtable. Ce magma qui gronde depuis plus de cinquante ans devait en toutes logique croiser les aventures de véritables vulcanologues. Ce sera Katia et Maurice Krafft, un couple qui se sera baladé sur la planète jusqu'à trouver la mort lors d'une expédition au Japon en 1991. Ils avaient laissé derrière eux près de 200 heures d'images, Herzog les a décortiquées, réassemblées pour le bien nommé Au cœur des volcans, requiem pour Katia et Maurice Krafft, portrait qui tient plus d'une course que d'un biopic, tant les Krafft semblent y échapper à un funeste destin, quand ils embarquent en bateau quelques minutes avant une éruption en Indonésie où réchappent de justesse d'un nuage toxique provoqué par une autre en Alaska. Herzog rendant tout autant compte de la manière dont leur filmage des volcans évolue, capturant la beauté hypnotique des volcans en actions comme leurs conséquences sur la nature et les populations environnantes. Mais tout autant la dévotion des Krafft à une curiosité qui les aura menés jusqu'à la mort, par envie d'aller au plus près de la lave, jusqu'au sacrifice. C'est probablement cette combinaison entre héroïsme vain et inconscience suicidaire qui a convaincu Herzog de s'attaquer à ce film fou par ses images comme par les fascinantes personnalités nourrissant une seule et même fournaise.
L'écho d'Herzog se retrouve forcément dans une nouvelle version de Nosferatu, qui sera en salles la semaine prochaine. En 1979, le réalisateur allemand s'était attaqué à un remake du classique de Murnau, lui-même inspiré du Dracula originel, celui écrit par Bram Stoker. Robert Eggers y revient avec la même idée d'en extraire non pas l'essence horrifique, mais celle romantico-sexuelle via l'emprise fiévreuse du vampire sur une jeune femme. Chez Herzog, c'était Adjani qui lui donnait corps, dans cette nouvelle version, c'est une phénoménale Lily-Rose Depp, sous claire influence de l'actrice française, notamment lors d'impressionnantes séquences de transe. Quoiqu'il soit encore présent via la performance hantée de Willem Dafoe en Van Helsing du jour, on pourra cependant regretter le sens du chaos qui possédait les films précédents d'Eggers, de The Lighthouse à The Northman, son Nosferatu, bien moins furibard, n'en reste pas moins un formidable conte gothique d'hiver pour adultes, par sa collection de somptueuses images, parfaite galerie de tableaux animés ou sa trajectoire vers un mélancolique final tragique, qui, contrairement à son décevant vampire, manquant étonnamment de mordant quand il n'est résumé qu'à une silhouette, a tout pour devenir mémorable.
Nosferatu, en salles le 25 décembre / Au cœur des volcans : Requiem pour Katia et Maurice Krafft, en salle le 18 décembre
Duration:00:02:59
LES FEMMES AU BALCON X VINGT DIEUX
12/11/2024
En septembre dernier, Noémie Merlant tenait le rôle principal d'Emmanuelle, film qui, plus qu'une revisite du classique du cinéma érotique, s'essayait à redéfinir l'érotisme, autour de la notion de désir. Trois mois plus tard, l'actrice revient avec son second film de réalisatrice, lui aussi taraudé par cette question, mais sous un angle opposé. À l'inverse de la glaciation d'Emmanuelle, Les Femmes au balcon s'échauffe via une bande de trois copines qui en pincent pour un voisin dans l'immeuble d'en face qu'elles ne cessent de mater. Avant même qu'elles ne le rencontrent, Merlant s'est emparée de la question du regard posé sur les femmes pour le retourner, se le réapproprier. Les Femmes au balcon est un film qui en met plein la vue, par l'audace de son mélange des genres, de la comédie loufoque au gore en passant par le drame. Mais aussi dans son rapport au corps féminin, ici dénudé pour le désacraliser, recentrer le quotidien de ses trois personnages autour de lui et l'exfiltrer des violences sexuelles auxquels les hommes peuvent le soumettre. Merlant en profite pour déshabiller le cinéma de ses conventions et le faire respirer à l'air libre. Les Femmes au balcon et son trio fantasque et fantastique – Merlant donc, Sanda Codreanu et Souheila Yacoub – y trouvent la possibilité de se lâcher, dans tous les sens du terme, pour une très joyeuse célébration de la sororité comme un endroit de tous les possibles, de la consolation à la jouissance en passant par l'affirmation de soi.
Si Les Femmes au balcon a tout pour faire parler de lui, l'autre sortie de la semaine veut faire tout un fromage. Littéralement, quand dans Vingt dieux, Totone, un fils d'agriculteur plus porté sur les fêtes de village que sur la ferme familiale, décide, pour la sauver, de se lancer dans la fabrication d'un Comté pour remporter un concours agricole doté d'un beau magot. Le premier film de Louise Courvoisier fait mijoter dans son chaudron naturalisme à la Pialat et bienveillance humaniste d'un Ken Loach. Vingt dieux est à la fois brut de décoffrage et nourri d'une tendresse pour ses personnages plus nature que pittoresque, ou l'intime est filmé en scope, les stéréotypes effacés par la franchise. Y compris dans le regard sur le monde paysan d'aujourd'hui, ses souffrances et ses transformations. Splendide film d'apprentissage du métier comme de la vie, peaufiné dans ses moindres détails, Vingt dieux tient de la noblesse de l'artisanat et du travail manuel.
Les Femmes au balcon / Vingt dieux. En salles le 11 décembre.
Duration:00:02:48
WICKED X LEURS ENFANTS APRES EUX
12/4/2024
Au plus haut du panthéon de la culture populaire américaine, il y a Le Magicien d'Oz. Et plus que son point de départ, un livre pour enfants, son adaptation qui révolutionne le cinéma dès 1939, que ce soit par sa production colossale, ses avancées techniques ou plus simplement ses audaces narratives. Un succès au long cours qui a fait des aventures de Dorothy, transportée dans un monde parallèle par une tornade, un pilier de l'imaginaire made in USA. Plusieurs films ont tenté, sans succès, par la suite de revenir à Oz, mais c'est une comédie musicale revenant sur les jeunes années de la future Méchante sorcière de l'Ouest qui l'a réimplantée chez de nouvelles générations. Depuis vingt-et-un ans, Wicked se joue sans discontinuer sur les scènes de Broadway. De quoi appâter Hollywood qui a fini par la porter à l'écran. Curieusement, c'est là que saute aux yeux, l'essence même d'un show ayant décuplé le fond du Magicien d'Oz (où Dorothy rassemblait toutes les espèces face à la sorcière). Wicked, via la naissance de l'amitié entre deux ados d'abord rivales, se fait ode à la tolérance globale, n'oubliant aucune identité, pour les fédérer face au complot d'un ultra-patriarcal Magicien. Cet aspect woke irritera probablement les conservateurs de tous poils sans empêcher un possible triomphe public, quand Wicked se réapproprie l'esprit des Harry Potter et plus encore en se faisant via ses valeurs positives, doudou rassurant dans une époque qui l'est de moins en moins. Ou simplement en ravivant la magnificence des grands spectacles. Du moins pour ceux qui supporteraient le mélange hypercalorique de meringue des décors, effets spéciaux en pagailles et performances vocales en mode Céline Dion puissance dix, le tout sur les 2h40 de ce qui n'est que la première partie d'un dyptique.
Du pays d'Oz et ses enluminures aux forêts des Vosges, il y a un sacré bout de chemin, et pourtant Leurs enfants après eux et Wicked se rejoignent dans leur chronique d'une rivalité ou l'émancipation difficile d'une jeunesse. L'adaptation du best-seller Goncourtisé de Nicolas Matthieu par les frères Boukherma ramène aux années 90 d'un Est français en pleine désindustrialisation pour raconter l'accélération d'un déclassement social d'une génération à la suivante, renforçant la fureur de vivre d'ados, rongée par l'ennui et le déterminisme. Film cousin de L'Amour ouf (par son sujet, la présence de Gilles Lellouche ou un best-of des années 90, façon juke-box aléatoire en guise de Bande originale), Leurs enfants après eux est tout autant porté par ses ambitions ou son casting central – Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami- que par sa fièvre, mais pèche par certains excès de zèle à ne pas avoir su tailler dans les chapitres du livre, voire là encore, une durée fleuve qui pousse un récit tout en non-dits vers la crue artificielle d'une rivière de sentiments. À moins d'y voir confortée la mélancolie d'un état des lieux, Leurs enfants après eux portant en lui les dégâts d'un déluge social qui n'en finit plus de tout submerger.
Wicked / Leurs enfants après eux. En salles le 4 décembre.
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LES REINES DU DRAME X HERETIC
11/27/2024
Les anglo-saxons sont beaucoup plus forts que nous en matière lexicale. Comment traduire en français ce qu'est le camp. Rien à avoir avec le camping, mais avec un mouvement culturel basé sur l'extravagance, le subversif et l'ironie. Depuis les années 60, c'est devenu une des constantes de l'univers gay, avant même qu'on le rebaptise queer. Pour faire simple, on peut y intégrer autant les comédies provocantes de John Waters que les mélos haut en couleurs de Douglas Sirk ou les expérimentations de Kenneth Anger. Jusque-là, il n'y avait pas d'équivalent pleinement français. C'est désormais le cas avec Les Reines du drame. La romance contrariée entre deux chanteuses, une punk et une petite-bourgeoise tient autant d'un concentré de toute la pop-culture actuelle, des émissions de télé-réalité aux YouTubeurs aux drag queens, qu'à une cinéphilie allant d'Une étoile est née à Phantom of the Paradise. Le tout pour un résultat décapant suturant l'esprit naïf des sitcoms d'AB production au regard franc d'un Fassbinder, la flamboyance romanesque des grandes histoires d'amour maudites à un discours ouvertement politique sur l'intégrité artistique. Le plus touchant restant une sincérité de tous les instants, y compris dans ses excès. Les Reines du drame revendiquant, au-delà de celle queer, l'envie de faire de l'identité de manière globale, un lieu d'inclusion absolue. Le film d'Alexis Langlois y gagne une part fédératrice jusque dans ses chansons, composées par Yelle, Rebeka Warrior ou Mona Soyoc, artistes loin de la sphère mainstream signant pourtant ici des morceaux acidulés au potentiel d'authentiques tubes ultra-populaires à reprendre en chœur.
De ce probable film culte au denier du culte, il n'y a étonnamment qu'un pas franchi cette semaine avec la sortie concomitante d'Heretic, autre drôle de film, désireux lui aussi de casser les barrières, pourquoi pas autour d'un paroissien pas très catholique quand il cache un psychopathe. Lorsque deux mormones le visitent pour tenter de le convertir, il va les convier à une joute rhétorique autour de la possible intox des religions avant de les séquestrer pour leur proposer d'assister à sa propre conception d'un miracle. Heretic démultiplie son jeu de chat et de la souris en déguisant un film d'horreur en passionnant débat théologique et vice-versa. Voir vice tout court, en ayant confié le rôle principal à un Hugh Grant très loin de ses rôles de gendre idéal. Sa composition de papy aussi érudit que manipulateur en fait un formidable méchant de cinéma, charmeur et pervers, mais avant tout troublant quand sous sa folie percent de vraies questions autour de la notion de croyance. Et s'il se sacrifie un peu sur l'autel du grand guignol dans sa dernière partie, le scénario d'Heretic, particulièrement retors quand il combine malignement mystique et démystification, achève de faire foi d'un cinéma de genre encore capable d'être ultra-divertissant et profondément philosophique.
Les Reines du drame / Heretic. En salles le 27 novembre
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PIECE BY PIECE x LA PASSION SELON BÉATRICE
11/19/2024
On en aura décidément jamais fini avec les biopics de chanteurs. La liste de films revisitant en long, en large et en travers les parcours de stars iconiques ne cesse de s'allonger, souvent pour aligner les mêmes ficelles scénaristiques. Piece By Piece se distingue du lot. Sans doute parce que son sujet est, lui aussi, un cas singulier dans le monde de la musique : Pharrell Williams. Et plus encore par sa forme, puisque réalisé... en figurine Lego. Où en assumant d'être un documentaire, entre entretien central avec Williams et témoignages de ses proches. Le recours à l'animation essayant de traduire l'univers mental et philosophique de la star, tout en amenant une inattendue distance dans un registre souvent hagiographique. Pour autant, Piece By Piece passe souvent d'un rigolo trip Lego à un égotrip, quand il reste essentiellement à la gloire d'un artiste qui se considère comme un éternel outsider. Dès lors, les passages les plus intéressants mettent en parallèle des tubes aux mélodies et titres galvanisants, "de Get Lucky" à "Happy", et phases, à l'inverse quasi dépressives d'un Williams enchaînant les crises existentielles. Idem pour la peinture d'un music-business bouffi par l'argent et le cynisme, n'attendant des artistes que la répétition de recettes lucratives. Et même si à la longue, Piece By Piece se laisse gagner par une certaine monotonie - qu'il tente pourtant d'endiguer par un discours meta - ce drôle de biopic n'a de cesse, par son originalité formelle d'assumer son sujet profond, à savoir la préservation de la créativité dans un milieu qui ne jure que par le formatage.
Autre personnalité atypique sur les écrans cette semaine : Béatrice Dalle. En surface, La Passion selon Béatrice l'emmène en périple mémoriel en Italie sur les traces d'une de ses idoles, Pier Paolo Pasolini. Le beau documentaire de Fabrice Du Welz prend rapidement un autre chemin : plus les rencontres avec de multiples intervenants esquissent un Pasolini comme le premier marxiste punk, plus la personnalité quasi jumelle de Dalle s'y superpose, plus c'est elle qui raconte sa philosophie de vie. Elle se propage autant dans la parole d'une femme à part que dans d'incroyables séquences sans mots, comme celle où Du Welz filme le visage de Dalle, lors d'une projection privée de L'Évangile selon Saint-Matthieu, où elle entre en état de quasi-fusion avec le film de Pasolini, le vivant littéralement dans sa chair, ses larmes. La Passion selon Béatrice est empli de ces moments à fleur de peau, observant Dalle dans une quête de soi sans concessions, mais allant à confession à cœur ouvert sur son parcours personnel. Le nôtre se serre définitivement dans une scène clôturant ce chassé-croisés entre deux âmes qui avaient tout pour être sœurs, où l'actrice en rencontre une autre, Rossano di Rocco, qui tenait le rôle d'un ange dans L'Évangile selon Saint-Matthieu. Leur étreinte, signe de reconnaissance mutuelle, d'une infinie tendresse, est une bouleversante épiphanie de cinéma.
Piece By Piece / La Passion selon Béatrice. En salles le 20 novembre
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LE ROYAUME X GLADIATOR II
11/14/2024
Et si le cinéma français allait vers une certaine idée d'appellation contrôlée ? Depuis quelque temps maintenant, il est devenu acquis que le terme de territoire a quasiment remplacé celui de régions. Ça fait plus noble, mais surtout, ça commence à donner des idées à des cinéastes qui intègrent pleinement à leur récit, des endroits, une terre. Ainsi, le principe d'un cinéma made in Corscia creuse son sillon. Récemment, c'était À son image qui entremêlait parcours d'une photographe et histoire de l'île de beauté, aujourd'hui voici Le royaume, immersion dans un clan vu par le prisme de la fille d'un de ses parrains, qui va devoir accompagner son père dans une fuite en avant. Julien Colonna propose tout autant à son film de prendre le maquis en racontant la Corse et ses complexités sans jamais s'aventurer sur le terrain du politique. Le royaume se concentrant sur des liens du sang qui vont épaissir une vendetta. Et à travers ce duo père-fille qui s'apprivoise tout en voyant les cadavres s'amonceler autour d'eux, faire le constat d'un cycle de la violence qui se perpétue, devient un héritage tragique de générations en générations. Si Le royaume, film de gangsters antispectaculaire mais d'une rare puissance pour s'infiltrer dans l'intimité tient d'un requiem, il est aussi celui d'une naissance : celle de Ghjuvanna Benedetti, renversante apparition d'une actrice de caractère.
Bien loin de la Corse, il y a un autre royaume, celui du cinéma hollywoodien. Où quelque chose est en train de pourrir. J'aurais adoré évoquer la sortie de Gladiator II, la sortie maousse de cette semaine, ce ne sera pas le cas, faute d'avoir eu accès à ses projections presse, verrouillées à l'extrême par son distributeur. Une tendance qui s'amplifie, les grands studios américains décrétant de plus en plus, comme un empereur romain selon son bon plaisir, quel média est digne ou non de voir leurs films, estimant qu'une campagne d'affichage maousse et des tapis rouges d'avant-premières commentés par des influenceurs sont plus profitables qu'une chronique. Paul Mescal est-il donc un successeur notable de Russell Crowe dans le nouveau néo-péplum signé Ridley Scott ? Cette suite était-elle nécessaire ? Aucune idée. À l'inverse, il est certain que les relations entre ces studios et la presse cinéma tiennent désormais de tristes jeux du cirque, ouvrant une arène où les combats vont être rudes.
Le royaume / Gladiator II. En salles le 13 novembre
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THE SUBSTANCE X AU BOULOT !
11/6/2024
Bien malin celui qui oserait dire que le cinéma d'horreur est resté domaine réservé au genre masculin. Depuis plusieurs années maintenant, les réalisatrices se sont emparées de ce genre. Normal, quand il peut être l'endroit où faire parler sa colère. Ainsi de The Substance, variation du Portrait de Dorian Gray, recontextualisée dans une époque contemporaine qui n'en a toujours pas fini avec l'objetisation des corps féminins. Voilà donc une présentatrice d'émission de fitness qui se fait virer du jour au lendemain parce que jugée trop vieille, à qui l'on propose un produit-miracle lui permettant de créer son double dans une version rajeunie. Seule contrainte, elles doivent partager leur temps, une semaine sur deux. La suite sera une fable gore sur le règne de l'image à outrance et des névroses profondes qui en découlent. The Substance se lit d'autant plus entre les lignes, que Coralie Fargeat a extirpé des limbes Demi Moore, actrice reine du box-office dans les années 80-90, quasi-portée disparue une fois la cinquantaine atteinte. C'est peu de dire que Demi ne fait pas les choses à moitié pour cette résurrection, pour une performance ahurissante, entre autocritique et règlement de comptes avec la sphère médiatique. The Substance tient de toute façon d'une cure de jouvence, en se ressourçant pleinement aux excès du cinéma d'horreur indépendant américain des années 80, parfois jusqu'à n'être que son recyclage. Dommage qu'en n'y apportant, à l'exception d'un final aussi débridé que dantesque, rien de plus en termes de transgression ou de propos, Fargeat se borne à une série B joyeusement malpolie, certes jouissive, mais donc au final sans autre substance dans son discours qu'une grosse gueulante, aussi roborative soit-elle.
À sa manière, François Ruffin, raconte aussi une autre transformation au féminin avec Au boulot ! À partir du pari lancé à Sarah Saldmann, avocate muée en chroniqueuse chez Pascal Praud, de vivre dans les conditions de travailleurs smicards, Ruffin l'embarque au contact du prolétariat. Le projet se fait rapidement flou, Au boulot ! se limitant à un épisode de Vis ma vie. Plus intéressante que la confrontation entre la bourgeoise et les travailleurs précaires, ne laissant aucun doute sur le retour de Saldmann à son monde une fois cette parenthèse refermée, celle, moins démago, avec Ruffin pour un jeu de chat et de la souris où l'on ne sait pas qui finira par croquer l'autre. Jusqu'à ce que Saldmann craque et disparaisse de l'écran pour retourner à ses élucubrations sur les plateaux de CNews, laissant Ruffin avec un film certes en rade, mais surtout désabusé quand il confirme la séparation entre les France d'en haut et d'en bas, vestes pailletées à 2800€ pièce et Gilets jaunes rapiécés, chacun toujours plus proches d'un entre-soi. Et de fait qu'il y a encore beaucoup de boulot avant que leur réconciliation ne s'opère...
The Substance / Au Boulot ! En salles le 5 novembre
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MONSIEUR AZNAVOUR X THE KILLER
10/30/2024
Les biopics de chanteurs, c'est désormais un peu comme la fashion week : on ne sait jamais vraiment quand ça s'arrête. Après ceux d'Amy Winehouse et de Bob Marley au printemps, en attendant ceux, plus intrigants, de Pharrell Williams, en lego ou de Robbie Williams incarné par… un singe en images de synthèse (!!!), voici celui de Charles Aznavour. Ce n'est rien de dire que l'on était intrigué par Grand Corps Malade et Mehdi Idir, jusque-là dépositaires de bonnes comédies sociales, aux commandes de ce projet. Et plus encore par Tahar Rahim, casté pour incarner l'auteur-interprète de "La Bohème" ou "Emmenez-moi". Malgré un maquillage un brin envahissant, comment pourtant ne pas clamer "vient voir le comédien" devant son impressionnante performance caméléon ? À l'inverse, la mise en scène, dans un même registre que La Môme, modèle clairement visé, souffre parfois d'un côté tape-à-l'œil. Sans doute pour éviter de regarder un peu trop près les raccourcis d'un scénario occultant nombre de moments clés de la vie d'Aznavour. Heureusement, c'est au profit d'une idée centrale, elle judicieuse, quand Monsieur Aznavour descelle un minimum une statue du commandeur de la chanson française par le portrait d'un homme avide de succès, quitte à y sacrifier sa vie de famille. Pas de quoi faire un film "formi-formi-formidable" – en dépit d'un casting de rôles secondaires, notamment Marie-Julie Baup, géniale en Edith Piaf qui lui l'est - mais au moins un biopic qui sort un minimum des clous pour ne pas être qu'une séance de karaoké.
John Woo, lui y est retourné avec un auto-remake de The Killer. Le film qui avait fait connaître au monde entier le réalisateur hong-kongais est donc revu et corrigé 35 ans plus tard. Nathalie Emmanuel y reprend le rôle de tueur à gage tourmenté rendu iconique par Chow Yun Fat et Omar Sy celui du flic lui courant après. Woo pensait peut-être boucler la boucle en venant tourner à Paris ce remake d'un film originel en partie sous influence du Samouraï, le classique de Jean-Pierre Melville. Encore aurait-il fallu que cette nouvelle mouture ne soit pas sabrée par un scénario réduisant ses personnages à des caricatures, amplifiées par un casting unis dans un cabotinage digne d'un épisode de Capitaine Marleau. Il subsiste un savoir-faire dans les scènes d'action ou certains effets signatures de Woo, d'une vision romantique du Bien et du Mal ou un lâcher de colombes au ralenti. Rien qui n'évite cependant l'impression, d'être cette fois-ci pris pour des pigeons.
Monsieur Aznavour/The Killer. En salles le 23 octobre
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JURÉ N°2 X HUNDRED OF BEAVERS
10/30/2024
En mai dernier, Clint Eastwood fêtait ses 94 ans. Un âge ou même les légendes d'Hollywood ont généralement raccroché les gants. Mais pas lui. Quelques semaines avant de souffler ses bougies, il était en train de mettre les dernières touches à Juré n°2 son quarantième film de réalisateur. Si c'était - et ce sera probablement le cas - le dernier, ce serait une bonne manière de boucler la boucle. Juré n°2 revient sur le motif qui aura sans doute le plus traversé la carrière d'Eastwood, devant ou derrière la caméra : la justice et son fonctionnement. À travers la trajectoire morale d'un clampin lambda se retrouvant juré devant statuer du sort d'un accusé d'un crime dont il est peut-être responsable, Juré n°2 tient peut-être d'une introspection d'Eastwood, de ses propres dilemmes moraux. Sans renouer avec les très grands films que furent Impitoyable ou Un monde parfait autour de ces questions, ce film de procès au rythme pépère a quelque chose d'attachant par ce qu'il est sans doute le dernier aveu d'un Eastwood à l'opposé de l'image d'américain ultra-conservateur qu'on lui a toujours accolé. Il est d'autant plus crève-cœur que sa sortie américaine ne lui rend pas justice, car sacrifié là-bas par son distributeur qui condamne cet ultime plaidoyer à l'échec, ne le diffusant que sur une cinquantaine de salles dans tous les USA.
Hundred of beavers n'a pas eu droit à beaucoup plus, mais a gagné sa visibilité dans la centaine de festivals où il a circulé à travers le monde pour devenir un mini-phénomène. À juste titre, pour ce film improbable sur le papier, entre hommage au cinéma muet et comédie loufoque. Soit les aventures de Jean Kayak, un trappeur novice découvrant comment chasser des castors qui vont lui donner beaucoup de fil à retordre. Le tout pour une succession de saynètes sans dialogue, empruntant autant aux bricolages géniaux des maîtres du burlesque qu'au chaos des cartoons, façon Bip-Bip et Vil Coyote quand Kayak se fait encore et encore piéger par ses propres tentatives de capturer son gibier. L'obstination de ce trappeur-loser comme celle d'un réalisateur s'échinant à trouver un gag absurde ou une idée surréaliste par scène tout en restant au premier degré font d'Hundred of beavers bien plus qu'un ovni, une comédie impressionnante dans son stakhanovisme jusqu'à l'épuisement par le rire ou la créativité.
Juré N°2 en salles le 30 octobre / Hundred of beavers sur Filmotv.fr
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NORAH
10/22/2024
Jusqu'en 2018, il n'y avait plus de salles de cinéma en Arabie Saoudite, fermées depuis 35 ans par le gouvernement religieux y voyant une source de divertissement impur. Paradoxe, il existe pourtant un cinéma saoudien, de tournages dans le pays à la production certes des plus minoritaires et contrôlées, de longs métrages.
Norah est un exemple encore plus visible, pour avoir été le premier film issu de ce pays sélectionné au festival de Cannes. Un accessit valant passeport diplomatique pour le film de Tawfik Alzaidi d'autant plus nécessaire quand il s'attaque frontalement à un tabou religieux : la question de la représentation de l'art. Le tout dans un village reculé, en toutes logiques sous main mise du conservatisme, dans les années 90. Dernière transgression, le personnage déclencheur est un instituteur chargé d'apprendre à lire et écrire - autrement dit éduquer - des enfants dont la destinée était jusque-là toute tracée.
En face de lui, voici Norah, jeune femme, qui justement ne veut pas de la vie qu'on lui impose via un mariage forcé. Lorsqu'elle apprend que l'instituteur dessine à ses heures perdues, elle lui commande un portrait, objet prohibé et donc forcément sacrilège qui pourrait leur valoir les pires ennuis. Alzaidi se concentre sur cette intrigue dans un cadre quasi-désertique, donc idéal pour faire place à un discours progressiste, jusque dans la figure de cet instituteur à la masculinité déconstruite face à une caste féminine aux racines inféodées. Comme le rappelle la tante de Norah "tu nais ici, tu meurs ici". De quoi nourrir un beau mélo pudique, la relation entre la jeune femme qui rêve d'ailleurs et ce professeur qui la conforte dans son envie d'émancipation, étant surtout pour Alzaidi, une manière de dire qu'une discussion est aujourd'hui ouverte, que les choses bougent, même de manière minime en Arabie Saoudite.
Le portrait au cœur de ce film aussi inattendu que délicat tient d'une esquisse de lendemains meilleurs. Allez savoir, il se pourrait même que Norah finisse par être montré dans quelques-unes des quarante salles de cinéma aujourd'hui ouvertes en Arabie saoudite...
Norah, en salles
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